Wednesday 9 November 2011

La Casa des Indignés Madrilènes





Depuis ce 15 Octobre dernier, date de la manifestation mondiale du mouvement dit des "Indignés", les manifestants Espagnols ont décidé spontanément d'occuper un hôtel laissé à l'abandon dans le centre de Madrid.

Situé à deux pas de la Puerta del Sol, l'Hôtel Madrid, est le lieu idoine pour la poursuite des conférences et des débats et pour l'élaboration de l'agenda des Indignés. La place de la porte du soleil, en ces débuts d'Automne, commençait à se refroidir; un lieu chaud et abrité devait donc être trouvé rapidement.
L'hôtel laissé à l'abandon permet ainsi au mouvement de continuer son action car contrairement à ce que l'on pourrait croire, les Indignés sont loin d'être éteints.

Hôtel Madrid

Rue Carretas. Sur la façade de l'édifice on y lit des banderoles: "Ocupa y Resiste", "Casa del Pueblo".
Dans les murs de cet Hôtel, 7 familles victimes d'expulsions y sont relogées depuis la mi-Octobre. C'est le 19 Octobre que les indignés avaient prévu la première manifestation devant le domicile d'une famille devant être expulsée. Depuis, les familles nouvellement SDF sont accueillies dans ces murs, le temps d'être au chaud, le temps de trouver une solution si de solution il en existe une. Cette alternative les sauve de la rue momentanément.
Les chambres n'ont pas encore l'eau courante, mais cela ne saurait tarder tant les bénévoles œuvrent à réparer ce qui doit l'être. L'électricité fonctionne correctement. Et même la fatigue de la moquette au sol décrépite réchauffe l'ambiance d'entraide et de solidarité. Une mini cafétéria est également mise en place depuis le 15 Octobre, et des tours de garde se sont imposés pour faire face à une éventuelle ordonnance d'éviction du juge. Des activités, ateliers et cours de danse sont mis en place.
Le tout est super rôdé.
En attendant, les affiches aux murs à l'intérieur scandent toute la même ligne et un seul mot d'ordre: le maintien des lieux en bon état -malgré une certaine insalubrité- , l'interdiction de consommer de l'alcool et surtout le recours à la non violence en cas d'évacuation par les forces de l'ordre. Une bible en quelque sorte... afin d'éviter toute récupération des politiques ou des medias qui pourrait viser à diminuer ou entacher le mouvement. Surtout rester clean en toute circonstance. Et aucune faillite aux règles n'a été relevée jusqu'ici. Les sentiments anarchiste et libertaire Espagnols, plus prégnants ici qu'en France de par la très longue dictature après l'effroyable guerre civile, s'articulent de façon ordonnée et pensée. Les Indignés Espagnols prouvent que l'anarchie et le chaos ne sont que de très vagues cousines.

Occupation contre corruption

Les Indignés ont donc désormais une casa.
Animés d'un même sentiment de ras de bol et d'une même espérance de renouveau, le choix de ce lieu s'avère, a posteriori, pas complétement anodin.
L’Hôtel Madrid appartient en effet au consortium immobilier Monteverde, spécialiste des investissements dans les logements de luxe et propriétaire de nombreux édifices, théâtres, hôtels, résidences, avenues etc.., dans la capitale Espagnole. Le groupe est détenu à 90% par Carlos Monteverde Mesa, à 5% par Ramón Hermosilla et 5% par Manuel García Álvarez. Il investit également à l'étranger: Londres, Paris...
Par son activité, le groupe, qui en plein cœur de la crise en 2010 poursuivait notamment ses investissements dans le logement de luxe afin de dégager davantage de bénéfices, est tenu par les différentes associations impliquées dans le mouvement des indignés comme un des responsables de la bulle spéculative financière qui est à l'origine de la situation dévastatrice actuelle.
Occuper l'Hôtel Madrid pour y reloger des expulsés, c'est aussi une façon de tancer Monteverde, l'immobilier du luxe et la spéculation vaine. Accueillir des expulsés au sein même d'une propriété de Monteverde, c'est lui signifier ses responsabilités.
En attendant, le groupe Monteverde a déposé une plainte au commissariat et une demande d'expulsion au tribunal afin de récupérer sa propriété laissée à l'abandon depuis 11 ans. Ces murs alors vides et inoccupés pendant des années devaient sembler à Monteverde plus utiles qu'ils ne le sont à présent, occupés par ces indignés, ces pauvres et ces familles ayant perdu leur logement à cause de la crise.

Voici quelques photos de la façade (à l'intérieur il est interdit aux médias de prendre des photos ou des vidéos).



Tuesday 26 July 2011

Amy Winehouse you had el duende!

Amy n’est plus mais il nous reste sa voix. Intemporelle.
Et pourtant, ces derniers jours, on aura pu lire beaucoup de choses sur ses addictions, nombreuses, mais peu en définitive sur son talent vocal,unique. Rien de ce qu’elle a accompli musicalement ne ressort. Sa voix pourtant si puissante peine à bruisser dans ce relatif maelström médiatique qui nous a rebattu de l’overdose supposée, jusqu’ici non confirmée, et du club des 27. Elle a certes succombé aux sirènes et aux affres de l’alcool, du tabac, du crack, de l’héroïne, de la cocaïne, des amphétamines, de l’ecstasy... mais il n’est nul besoin de rappeler que les racines profondes de ces addictions viennent d’une faille personnelle, du moins d’un besoin presque bestial d’échapper à soi-même et d’oublier les raisons d’un mal-être traître. Et cette descente infernale fut adoubée par une presse moribonde de mercantilisme et une foule bâtarde de délectation. Elle était malade et sa guérison n'était pas la priorité de ses managers et de sa maison de disque. Hélas, ses excès ont assassiné son corps qui a fini par renoncer. Mais n’oublions pas l’essentiel. Amy Winehouse était une grande artiste et elle avait le duende ! Voyez plutôt.

« Tous les arts sont susceptibles de duende » disait Frederico Garcia Lorca, poète, dramaturge et musicien Andalou, lors de sa conférence "Teoria y juego del duende" donnée à La Havane en 1930. Il est très difficile de traduire en des termes exacts ce mot et concept espagnol qui nous vient du vocabulaire dédié à l’art du Flamenco.
Vous pensez sûrement : " mais quel est donc le rapport entre Amy Winehouse et le Flamenco ?". Je vous répondrai: l’avez-vous seulement bien écoutée ? Avez-vous entendu quel son s’échappe de cette voix qui transpire l'âme vieillie? La profondeur est évidente, le cœur dans les mots aussi. Il faut avoir compris et ressenti beaucoup de choses pour savoir chanter ainsi. En relais de ses peines, souffrances et doutes qu'on imagine immenses, Amy Winehouse se laissait envahir par le duende en plein chant. Elle n’interprétait pas platement contrairement à pléthore de chanteurs. Elle incarnait les paroles. Là où d’autres n’auraient su que fadement réciter de façon mélodieuse les mots, elle savait y insuffler de la vie, et ce, entre chaque lettre. Elle imposait son propre rythme, sa propre mesure et prononciation, faisant traîner là une syllabe languissante, pour mieux retenir ici un son plaintif avant de le relâcher à l’instar d’un vieux cantaor. Elle pouvait rendre son cri à une lettre muette, ses retenues sonores étaient aussi fortes que les longues notes qu’elle savait tenir. Sa voix semblait remonter des tréfonds ; elle chantait « juste», elle chantait vrai. Sans mensonges ni effet de style puant. Ses thématiques de souffrance et de perte sont aussi symptomatiques du duende dans la plus pure tradition Flamenca Andalouse.

Le duende se retrouve dans toute forme d’art mais il s’exprime plus librement dans l’art vivant : danse, chant, musique, théâtre car il a besoin d’un vecteur qui est le corps humain. C’est cette force mystique, « c’est un pouvoir», «une manifestation d’essence » disait Garcia Lorca. Merleau-Ponty parlerait d’un rentrer en soi pour mieux sortir de soi. Ce duende sorti, il se connecte à l'audience présente, tel un passage d'énergie. Le duende s’empare d’abord de l’artiste soliste puis cogne ensuite au cœur et à l’esprit des spectateurs qui, même profanes, ne pourront s’empêcher de ressentir un soulèvement des sens, un souffle de vie. C’est aussi l’excès. Le dépassement de soi. C’est boire jusqu’à tomber, danser jusqu’à s’évanouir, chanter jusqu’à mourir. La fureur et le désespoir mêlés à l’énergie créatrice dans son expression la plus pure et la plus primaire. C’est profond, cela interpelle. Et cela est universel. Nombreux sont les artistes qui ont été happés par le duende. Jim Morrison en transe sur scène, évadé de lui-même, Edgar Allan Poe, englouti par ses histoires de métempsychose, Carmen Amaya, éreintée d’avoir été cherchée si souvent si profond pour danser son art, son baile, Edith Piaf ou encore les danses rituelles mystiques de certaines tribus Africaines qui envahissent les sens d’une présence indicible. C’est ce feu qui consume aussi. « C’est un véritable style de vie, c’est-à-dire de sang » dit encore Garcia Lorca reprenant un vieux maître guitariste, cité dans « Le Flamenco » superbe ouvrage de Mario Bois (Ed. Marval).
La raison pour laquelle on le retrouve dans toutes les formes d’art est qu’il s’agit d’essence humaine profonde. Mario Bois nous rapporte les mots du gitan Manuel Torre : « Lo que no tiene sonidos negros no tiene duende (ce qui n’a pas de sons noirs n’a pas de duende). Et c’est bien ce qui différencie un Basquiat d’un Wharol, un Nirvana d'un Incubus ou encore un Charlie Parker d’un Erik Satie.
Amy Winehouse rappelait les grands noms de la Motown, son souffle dense nous ramenait tout droit à la grande tradition jazz-soul de la culture afro-américaine. Elle n’était pas noire de peau et pourtant, toute Juive Anglaise qu’elle était, elle « sonnait noir » pour paraphraser Manuel Torre. C'est ça "tener el duende".
J’aime croire qu’il nous est donner à tous de savoir l’apprécier car il est impossible de ne pas le ressentir. Amy Jade Winehouse you had el duende. Merci pour ce que tu nous auras laissé, hélas bien peu au regard de l’amplitude de tes ressources artistiques et de ton talent certain.

Now you really went back to black.

Pour plus d'info sur ce concept de duende:
Lire "Le Flamenco" de Mario Bois, Editions Marval.
Lire la conférence de Garcia Lorca ici :
http://usuaris.tinet.cat/picl/libros/glorca/gl001202.htm


Voir quelques videos:

Carmen Amaya et sa troupe, chantant "por Bulerias":
http://www.youtube.com/watch?v=GP3Gho5qe4Y

Carmen Amaya, en solo:
http://www.youtube.com/watch?v=oQlk5AYsZtk

Amy Winehouse Love is a loosing game (Live Mercury Prize):
http://www.youtube.com/watch?v=fl7R4Ir1fKc

Amy Winehouse "Valerie" a capella:
http://www.youtube.com/watch?v=Q6JRttxTBC8