Tuesday 26 July 2011

Amy Winehouse you had el duende!

Amy n’est plus mais il nous reste sa voix. Intemporelle.
Et pourtant, ces derniers jours, on aura pu lire beaucoup de choses sur ses addictions, nombreuses, mais peu en définitive sur son talent vocal,unique. Rien de ce qu’elle a accompli musicalement ne ressort. Sa voix pourtant si puissante peine à bruisser dans ce relatif maelström médiatique qui nous a rebattu de l’overdose supposée, jusqu’ici non confirmée, et du club des 27. Elle a certes succombé aux sirènes et aux affres de l’alcool, du tabac, du crack, de l’héroïne, de la cocaïne, des amphétamines, de l’ecstasy... mais il n’est nul besoin de rappeler que les racines profondes de ces addictions viennent d’une faille personnelle, du moins d’un besoin presque bestial d’échapper à soi-même et d’oublier les raisons d’un mal-être traître. Et cette descente infernale fut adoubée par une presse moribonde de mercantilisme et une foule bâtarde de délectation. Elle était malade et sa guérison n'était pas la priorité de ses managers et de sa maison de disque. Hélas, ses excès ont assassiné son corps qui a fini par renoncer. Mais n’oublions pas l’essentiel. Amy Winehouse était une grande artiste et elle avait le duende ! Voyez plutôt.

« Tous les arts sont susceptibles de duende » disait Frederico Garcia Lorca, poète, dramaturge et musicien Andalou, lors de sa conférence "Teoria y juego del duende" donnée à La Havane en 1930. Il est très difficile de traduire en des termes exacts ce mot et concept espagnol qui nous vient du vocabulaire dédié à l’art du Flamenco.
Vous pensez sûrement : " mais quel est donc le rapport entre Amy Winehouse et le Flamenco ?". Je vous répondrai: l’avez-vous seulement bien écoutée ? Avez-vous entendu quel son s’échappe de cette voix qui transpire l'âme vieillie? La profondeur est évidente, le cœur dans les mots aussi. Il faut avoir compris et ressenti beaucoup de choses pour savoir chanter ainsi. En relais de ses peines, souffrances et doutes qu'on imagine immenses, Amy Winehouse se laissait envahir par le duende en plein chant. Elle n’interprétait pas platement contrairement à pléthore de chanteurs. Elle incarnait les paroles. Là où d’autres n’auraient su que fadement réciter de façon mélodieuse les mots, elle savait y insuffler de la vie, et ce, entre chaque lettre. Elle imposait son propre rythme, sa propre mesure et prononciation, faisant traîner là une syllabe languissante, pour mieux retenir ici un son plaintif avant de le relâcher à l’instar d’un vieux cantaor. Elle pouvait rendre son cri à une lettre muette, ses retenues sonores étaient aussi fortes que les longues notes qu’elle savait tenir. Sa voix semblait remonter des tréfonds ; elle chantait « juste», elle chantait vrai. Sans mensonges ni effet de style puant. Ses thématiques de souffrance et de perte sont aussi symptomatiques du duende dans la plus pure tradition Flamenca Andalouse.

Le duende se retrouve dans toute forme d’art mais il s’exprime plus librement dans l’art vivant : danse, chant, musique, théâtre car il a besoin d’un vecteur qui est le corps humain. C’est cette force mystique, « c’est un pouvoir», «une manifestation d’essence » disait Garcia Lorca. Merleau-Ponty parlerait d’un rentrer en soi pour mieux sortir de soi. Ce duende sorti, il se connecte à l'audience présente, tel un passage d'énergie. Le duende s’empare d’abord de l’artiste soliste puis cogne ensuite au cœur et à l’esprit des spectateurs qui, même profanes, ne pourront s’empêcher de ressentir un soulèvement des sens, un souffle de vie. C’est aussi l’excès. Le dépassement de soi. C’est boire jusqu’à tomber, danser jusqu’à s’évanouir, chanter jusqu’à mourir. La fureur et le désespoir mêlés à l’énergie créatrice dans son expression la plus pure et la plus primaire. C’est profond, cela interpelle. Et cela est universel. Nombreux sont les artistes qui ont été happés par le duende. Jim Morrison en transe sur scène, évadé de lui-même, Edgar Allan Poe, englouti par ses histoires de métempsychose, Carmen Amaya, éreintée d’avoir été cherchée si souvent si profond pour danser son art, son baile, Edith Piaf ou encore les danses rituelles mystiques de certaines tribus Africaines qui envahissent les sens d’une présence indicible. C’est ce feu qui consume aussi. « C’est un véritable style de vie, c’est-à-dire de sang » dit encore Garcia Lorca reprenant un vieux maître guitariste, cité dans « Le Flamenco » superbe ouvrage de Mario Bois (Ed. Marval).
La raison pour laquelle on le retrouve dans toutes les formes d’art est qu’il s’agit d’essence humaine profonde. Mario Bois nous rapporte les mots du gitan Manuel Torre : « Lo que no tiene sonidos negros no tiene duende (ce qui n’a pas de sons noirs n’a pas de duende). Et c’est bien ce qui différencie un Basquiat d’un Wharol, un Nirvana d'un Incubus ou encore un Charlie Parker d’un Erik Satie.
Amy Winehouse rappelait les grands noms de la Motown, son souffle dense nous ramenait tout droit à la grande tradition jazz-soul de la culture afro-américaine. Elle n’était pas noire de peau et pourtant, toute Juive Anglaise qu’elle était, elle « sonnait noir » pour paraphraser Manuel Torre. C'est ça "tener el duende".
J’aime croire qu’il nous est donner à tous de savoir l’apprécier car il est impossible de ne pas le ressentir. Amy Jade Winehouse you had el duende. Merci pour ce que tu nous auras laissé, hélas bien peu au regard de l’amplitude de tes ressources artistiques et de ton talent certain.

Now you really went back to black.

Pour plus d'info sur ce concept de duende:
Lire "Le Flamenco" de Mario Bois, Editions Marval.
Lire la conférence de Garcia Lorca ici :
http://usuaris.tinet.cat/picl/libros/glorca/gl001202.htm


Voir quelques videos:

Carmen Amaya et sa troupe, chantant "por Bulerias":
http://www.youtube.com/watch?v=GP3Gho5qe4Y

Carmen Amaya, en solo:
http://www.youtube.com/watch?v=oQlk5AYsZtk

Amy Winehouse Love is a loosing game (Live Mercury Prize):
http://www.youtube.com/watch?v=fl7R4Ir1fKc

Amy Winehouse "Valerie" a capella:
http://www.youtube.com/watch?v=Q6JRttxTBC8